Les
différentes confessions protestantes ont longtemps manifesté leur
hostilité au pentecôtisme et ne se sont finalement résignées à l’admettre
que devant l’ampleur et la persistance du mouvement. La hiérarchie de
l’Eglise catholique, d’abord plutôt réticente, hésitera beaucoup
moins longtemps à accueillir le Renouveau. D’une part, le relativisme
et l’« œcuménisme » post-conciliaires ne la prédisposaient pas à
de subtiles distinctions. D’autre part, et surtout sans doute, la
désertion d’une foule de prêtres, la vacuité des séminaires et la
désertification des églises ne pouvaient que lui faire juger opportune
l’arrivée de jeunes prêtres zélés et de fidèles pieux et
enthousiastes, même si les croyances et les pratiques des uns et des
autres pouvaient au moins surprendre. Le Renouveau fait volontiers état
d’encouragements que leur ont adressés à plusieurs reprises les
papes lors d’audiences à Rome. Ainsi Paul VI s’interroge-t-il le 19
mai 1975 : « Ce Renouveau spirituel ne pourrait-il être une
chance pour l’Eglise et pour le monde ?» Le 11 décembre 1979,
Jean-Paul II dit aux membres du Bureau International de Communication du
Renouveau : « Je suis convaincu que ce mouvement est une
composante très importante du Renouveau spirituel de l’Eglise ».
Il renouvellera ce type de déclarations en 1980, 81 et 84[86].
On peut
atténuer la portée de ce genre d’approbations en remarquant qu’elles
font partie du langage diplomatique pontifical. Ainsi Jean-Paul II
a-t-il pu déclarer aux luthériens : « Je viens à vous vers l’héritage
spirituel de Martin Luther ; je viens comme un pèlerin ». Ou
aux calvinistes de Taizé : « L’Eglise a besoin de votre
présence et de votre participation ». On pourrait citer d’autres
politesses adressées à la Trilatérale, à Nelson Mandela...[87].
Il
serait juste de citer quelques mises en garde dont, semble-t-il, on
parle moins. Paul VI déclare le 16 janvier 1974 : « On prétend
faire de son jugement personnel ou, comme il arrive souvent, de son
expérience subjective, ou encore de son
inspiration du moment, le critère qui oriente sa religion... comme s’il
s’agissait d’un don charismatique ou d’un souffle prophétique...
Nous aurions alors un nouveau "libre examen" ». Le 23
novembre 1981, Jean-Paul H, s’adressant aux membres du Renouveau,
évoque : « Poids excessif donné par exemple à l’expérience
sentimentale du divin, recherche immodérée du spectaculaire et de l’extraordinaire,
complaisance pour les interprétations hâtives et erronées de l’Ecriture
»[88]. Il faut
ajouter à cela des mises en garde émises, sans grande efficacité
semble-t-il, par le Vatican : nous en avons vu une au sujet de la
participation de catholiques à des cultes protestants; nous en
rencontrerons une autre à propos du charisme de guérison. Les
évêques, pour leur part, ont d’abord manifesté une certaine
méfiance. A l’exception, toutefois, du cardinal Suenens qui, après
avoir été un des plus efficaces inspirateurs du Concile qu’il
comparaît à « 1789 »[89],
s’était fait « baptiser dans l’Esprit »
et appartenait aux instances internationales du Renouveau. On note sa
présence, et aussi celle de Mgr Elchinger, au rassemblement de
Strasbourg de 1982. En octobre de cette même année 1982, Mgr Marcus,
évêque de Nantes, présente à l’assemblée des évêques français
à Lourdes un rapport modéré sur le Renouveau où sont tout de même
évoqués les pièges du mouvement et les problèmes non résolus qu’il
soulève[90]. En
1983, l’épiscopat français charge Mgr Duchêne, évêque de
Saint-Claude, de suivre les charismatiques. De 1983 à 1985, les
évêques dont les diocèses abritent des communautés charismatiques
(catholiques) reconnaissent celles-ci comme « associations de fidèles
»[91], avec
toutefois des statuts variés[92].
Est-ce à dire que toutes les réserves épiscopales ont alors
disparu ? Sans doute pas, car, si le cardinal Lustiger
se rend au rassemblement du Bourget de la Pentecôte 1988, il n’emploie
pas une seule fois dans son discours le mot « charismatique ».
Mais, quelles que puissent être les réticences épiscopales, il faut
bien considérer que, si l’on ordonnait en France environ 700 prêtres
par an jusqu’en 1966[93],
ce chiffre s’est ensuite effondré et que, s’il a pu remonter
modestement à 140 en 1975, le tiers des effectifs venait des
séminaires du Renouveau[94]. |