La
grande référence scripturaire des charismatiques est un texte dans
lequel saint Paul énumère les dons du Saint Esprit reçus par certains
fidèles : « L’un reçoit du Saint Esprit le don de parler avec
sagesse, un autre reçoit du même Saint Esprit celui de parler avec
science ; un autre reçoit la foi par le même Esprit, un autre
reçoit la grâce de guérir les malades ; un autre le don de faire
des miracles; un autre celui de prophétiser ; un autre celui de
parler diverses langues, un autre l’interprétation de ces langues »[151].
Le
chanoine Crampon commente : « Dons spirituels, litt. charismes,
grâces spéciales accordées par l’Esprit Saint à certains fidèles,
non pour leur propre sanctification, mais pour le bien de l’Eglise ;
ils diffèrent donc de la grâce sanctifiante et des dons du Saint
Esprit. Ces dons, ainsi que les manifestations extraordinaires
auxquelles ils donnaient lieu, fréquents à l’origine de l’Eglise,
sont devenus par la suite de plus en plus rares sans avoir disparu tout
à fait »[152].
Un
prêtre charismatique explique que « la grâce propre du charisme est
de coopérer chez le destinataire à l’accueil et à la connaissance
de la grâce sanctifiante en lui, à sa vie de charité »[153].
Par le charisme, l’Esprit Saint « se rendra en quelque sorte sensible
»[154]. Cet
auteur ne signale pas, comme le précédent, la rareté des
charismes ; au contraire même, puisqu’il écrit : « Une
expérience acquise des charismes rend l’exercice d’un charisme plus
fréquent, plus régulier, plus puissant »[155].
Quoi qu’il
en soit, l’Eglise a toujours reconnu l’existence des charismes qui
font partie des « grâces conférées à certaines personnes en vue du
salut d’autres »[156].
Vatican
II explique : « Pour exercer cet apostolat » (des laïcs), « l’Esprit
Saint, qui opère pour la sanctification du peuple de Dieu par le
ministère des sacrements, accorde aussi aux fidèles des dons
particuliers »[157].
Mais l’Eglise
recommande surtout la plus grande prudence, sinon la plus grande
méfiance. Déjà, saint Paul écrivait : « Ne méprisez pas les
prophéties, mais éprouvez toutes choses, retenez ce qui est bon[158].
L’Eglise
est tout aussi prudente avec les phénomènes physiques du mysticisme,
pourtant souvent beaucoup plus objectifs et concrets que les
charismes : la lévitation, les stigmates, l’inédie (privation
de nourriture), etc. Elle estime en effet que le démon peut, lui aussi,
agir sur les sens physiques[159].
Il suffit de noter sa grande réserve au sujet de mystiques présentant
ce type de phénomènes, comme Thérèse Neumann[160]
ou Anne Catherine Emmerich[161]
dont, au surplus, les visions, comme celles de Marie Valtorta, sont
sujettes à caution[162].
La
théologie mystique enseigne la plus grande méfiance envers les
phénomènes extraordinaires : visions, paroles surnaturelles,…
qui se produisent chez les mystiques, surtout chez ceux qui sont
parvenus à l’union extatique : « Comme le démon singe les
œuvres divines, il y a parfois aussi, chez les mystiques vrais ou faux,
des phénomènes diaboliques »[163].
« Les grands mystiques sont unanimes à enseigner qu’il ne faut ni
désirer ni demander des faveurs extraordinaires... Parfois même, à
cause de nos tendances mauvaises, ce sont plutôt des obstacles à l’union
divine »[164].
Les
miracles eux-mêmes n’échappent pas à la sévérité de l’Eglise.
On sait avec quelles précautions sont reconnues miraculeuses
quelques-unes des guérisons obtenues à
Lourdes[165]. On
prend autant de soin, au cours des procès de canonisation, à peser les
preuves de miracles qui, de toute manière, passent après les preuves
de sainteté[166].
En outre, « le miraculeux, quelque important qu’il soit, ne joue pas
au détriment de l’institutionnel »[167].
Le
Renouveau charismatique est loin d’appliquer les mêmes règles de
prudence. Alors que Vatican II enseigne que « les dons extraordinaires
0es charismes) ne doivent pas être témérairement recherchés »[168],
il y a chez les charismatiques une recherche si effrénée des charismes
qu’ils en font parfois l’objet même des réunions (les séances de
guérison, par exemple). On note toutefois, depuis quelques années, une
certaine modération : « Afin de mieux s’intégrer dans l’Eglise,
certaines communautés affirment avoir mis un bémol à toutes ces
manifestations »[169].
Cela ne change rien aux problèmes de fond. D’ailleurs,
l’auteur que nous venons de citer continue ainsi son propos : «
On les retrouve cependant encore [ces manifestations] dans tous les
grands groupes de prière et dans toutes les grandes
communautés ». On peut d’ailleurs se demander, si c’est
réellement le Saint Esprit qui agit sensiblement, de quel droit le
Renouveau peut se permettre de limiter son action.
Cette
recherche des charismes, comme, dans une large mesure, la nature et la
manifestation de ces charismes, constituent bel et bien une innovation
dans l’Eglise et même dans le domaine de la foi. Or, la règle de l’Eglise
est : « Qu’on n’innove rien si ce n’est en conformité avec
la Tradition »[170].
Le premier concile du Vatican a rappelé que l’on ne peut modifier le
dépôt de la foi[171].
Déjà, au 1er siècle, saint Jean[172]
et surtout saint Paul[173]
avaient insisté sur la conservation de ce dépôt, à l’exclusion de
toute nouveauté.
Il faut
observer que les charismes sont apparus hors de l’Eglise. Pour
certains charismatiques, ils se seraient toujours produits si l’Eglise
ne s’y était opposée, notamment en condamnant injustement les
groupes qui en étaient dotés : montanistes, vaudois,
fraticelles...[174].
Comme le reconnaît Mgr de Monléon, charismatique lui-même, il existe
au Renouveau des tendances à l’opposer à l’Eglise
institutionnelle, et cet auteur s’efforce de différencier les
ministères (de l’Eglise) et les charismes, pour que ceux-ci ne
viennent pas « concurrencer » ceux-là[175].
D’autres, comme Hans Küng, n’hésitent pas à distinguer dans l’Eglise
une structure paulinienne, charismatique, et une structure
institutionnelle[176].
Mais, note le R.P. Eugène de Villeurbanne, « il est absurde d’opposer
la religion de l’autorité et de l’obéissance à la religion de l’Esprit
»[177].
On voit
reparaître ici, à propos des charismes, la vieille tentation de faire
succéder une Eglise de l’Esprit à l’Eglise
instituée par le Christ, une ère du Saint Esprit à l’ère du Fils.
Mais il
se pose en outre, de nouveau, un problème fondamental : comment le
Saint Esprit aurait-il accordé des charismes à des catholiques, en
dehors de la hiérarchie de l’Eglise, par l’intermédiaire de «
confessions » protestantes, étrangères par définition à l’Eglise
et donc éloignées de l’unique vérité ? |