Les Charismatiques après la fête - Daniel Raffard de Brienne

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Les charismes

La grande référence scripturaire des charismatiques est un texte dans lequel saint Paul énumère les dons du Saint Esprit reçus par certains fidèles : « L’un reçoit du Saint Esprit le don de parler avec sagesse, un autre reçoit du même Saint Esprit celui de parler avec science ; un autre reçoit la foi par le même Esprit, un autre reçoit la grâce de guérir les malades ; un autre le don de faire des miracles; un autre celui de prophétiser ; un autre celui de parler diverses langues, un autre l’interprétation de ces langues »[151].

Le chanoine Crampon commente : « Dons spirituels, litt. charismes, grâces spéciales accordées par l’Esprit Saint à certains fidèles, non pour leur propre sanctification, mais pour le bien de l’Eglise ; ils diffèrent donc de la grâce sanctifiante et des dons du Saint Esprit. Ces dons, ainsi que les manifestations extraordinaires auxquelles ils donnaient lieu, fréquents à l’origine de l’Eglise, sont devenus par la suite de plus en plus rares sans avoir disparu tout à fait »[152].

Un prêtre charismatique explique que « la grâce propre du charisme est de coopérer chez le destinataire à l’accueil et à la connaissance de la grâce sanctifiante en lui, à sa vie de charité »[153]. Par le charisme, l’Esprit Saint « se rendra en quelque sorte sensible »[154]. Cet auteur ne signale pas, comme le précédent, la rareté des charismes ; au contraire même, puisqu’il écrit : « Une expérience acquise des charismes rend l’exercice d’un charisme plus fréquent, plus régulier, plus puissant »[155].

Quoi qu’il en soit, l’Eglise a toujours reconnu l’existence des charismes qui font partie des « grâces conférées à certaines personnes en vue du salut d’autres »[156].

Vatican II explique : « Pour exercer cet apostolat » (des laïcs), « l’Esprit Saint, qui opère pour la sanctification du peuple de Dieu par le ministère des sacrements, accorde aussi aux fidèles des dons particuliers »[157].

Mais l’Eglise recommande surtout la plus grande prudence, sinon la plus grande méfiance. Déjà, saint Paul écrivait : « Ne méprisez pas les prophéties, mais éprouvez toutes choses, retenez ce qui est bon[158].

L’Eglise est tout aussi prudente avec les phénomènes physiques du mysticisme, pourtant souvent beaucoup plus objectifs et concrets que les charismes : la lévitation, les stigmates, l’inédie (privation de nourriture), etc. Elle estime en effet que le démon peut, lui aussi, agir sur les sens physiques[159]. Il suffit de noter sa grande réserve au sujet de mystiques présentant ce type de phénomènes, comme Thérèse Neumann[160] ou Anne Catherine Emmerich[161] dont, au surplus, les visions, comme celles de Marie Valtorta, sont sujettes à caution[162].

La théologie mystique enseigne la plus grande méfiance envers les phénomènes extraordinaires : visions, paroles surnaturelles,… qui se produisent chez les mystiques, surtout chez ceux qui sont parvenus à l’union extatique : « Comme le démon singe les œuvres divines, il y a parfois aussi, chez les mystiques vrais ou faux, des phénomènes diaboliques »[163]. « Les grands mystiques sont unanimes à enseigner qu’il ne faut ni désirer ni demander des faveurs extraordinaires... Parfois même, à cause de nos tendances mauvaises, ce sont plutôt des obstacles à l’union divine »[164].

Les miracles eux-mêmes n’échappent pas à la sévérité de l’Eglise. On sait avec quelles précautions sont reconnues miraculeuses quelques-unes des guérisons obtenues à Lourdes[165]. On prend autant de soin, au cours des procès de canonisation, à peser les preuves de miracles qui, de toute manière, passent après les preuves de sainteté[166]. En outre, « le miraculeux, quelque important qu’il soit, ne joue pas au détriment de l’institutionnel »[167].

Le Renouveau charismatique est loin d’appliquer les mêmes règles de prudence. Alors que Vatican II enseigne que « les dons extraordinaires 0es charismes) ne doivent pas être témérairement recherchés »[168], il y a chez les charismatiques une recherche si effrénée des charismes qu’ils en font parfois l’objet même des réunions (les séances de guérison, par exemple). On note toutefois, depuis quelques années, une certaine modération : « Afin de mieux s’intégrer dans l’Eglise, certaines communautés affirment avoir mis un bémol à toutes ces manifestations »[169]. Cela ne change rien aux problèmes de fond. D’ailleurs, l’auteur que nous venons de citer continue ainsi son propos : « On les retrouve cependant encore [ces manifestations] dans tous les grands groupes de prière et dans toutes les grandes communautés ». On peut d’ailleurs se demander, si c’est réellement le Saint Esprit qui agit sensiblement, de quel droit le Renouveau peut se permettre de limiter son action.

Cette recherche des charismes, comme, dans une large mesure, la nature et la manifestation de ces charismes, constituent bel et bien une innovation dans l’Eglise et même dans le domaine de la foi. Or, la règle de l’Eglise est : « Qu’on n’innove rien si ce n’est en conformité avec la Tradition »[170]. Le premier concile du Vatican a rappelé que l’on ne peut modifier le dépôt de la foi[171]. Déjà, au 1er siècle, saint Jean[172] et surtout saint Paul[173] avaient insisté sur la conservation de ce dépôt, à l’exclusion de toute nouveauté.

Il faut observer que les charismes sont apparus hors de l’Eglise. Pour certains charismatiques, ils se seraient toujours produits si l’Eglise ne s’y était opposée, notamment en condamnant injustement les groupes qui en étaient dotés : montanistes, vaudois, fraticelles...[174]. Comme le reconnaît Mgr de Monléon, charismatique lui-même, il existe au Renouveau des tendances à l’opposer à l’Eglise institutionnelle, et cet auteur s’efforce de différencier les ministères (de l’Eglise) et les charismes, pour que ceux-ci ne viennent pas « concurrencer » ceux-là[175]. D’autres, comme Hans Küng, n’hésitent pas à distinguer dans l’Eglise une structure paulinienne, charismatique, et une structure institutionnelle[176]. Mais, note le R.P. Eugène de Villeurbanne, « il est absurde d’opposer la religion de l’autorité et de l’obéissance à la religion de l’Esprit »[177].

On voit reparaître ici, à propos des charismes, la vieille tentation de faire succéder une Eglise de l’Esprit à l’Eglise instituée par le Christ, une ère du Saint Esprit à l’ère du Fils.

Mais il se pose en outre, de nouveau, un problème fondamental : comment le Saint Esprit aurait-il accordé des charismes à des catholiques, en dehors de la hiérarchie de l’Eglise, par l’intermédiaire de « confessions » protestantes, étrangères par définition à l’Eglise et donc éloignées de l’unique vérité ?

[151] Paul, I Cor 12, 8-10.

[152] Abbé Crampon, La Sainte Bible (Desclée, 1904), note 30 de I Cor.

[153] RP Albert-Marie de Monléon, Charismes et ministères (Desclée de Brouwer, 1995), p. 23.

[154] Op. cit. p. 29.

[155] Op. cit. p. 36.

[156] Louis Ott, note 146, p. 316. C’est tout ce que cet auteur en dit.

[157] Apostolicam actuositatem (1965); référence à I Cor 12.

[158] 1 Thés 5,20-21.

[159] Herbert Thurston, Les phénomènes physiques du mysticisme (Rocher, 1986).

[160] E. Boniface, Thérèse Neumann ta crucifiée (Lethielleux, 1979).; Jeanne Danemarie, Le mystère des stigmatisés (Grasset, 1933).

[161] Danemarie, Loc. cit.

[162] Abbé Gérard Herrbach, Des visions sur l’Evangile (Communicantes, 1993).

[163] Tanquerey, note 23, n° 1489.

[164] Ibid, n° 1494.

[165] Yves Chiron, Enquête sur les miracles de Lourdes (Perrin, 2000).

[166] Yves Chiron, Enquête sur les canonisations (Perrin, 1998).

[167] RP L.M. Simon, Faux Renouveau Charismatique (DFT, 1984).

[168] Lumen Gentium (1964), ch. IL

[169] A. Dewailly, note 26, p. 90.

[170] D’après RP Philibert, note 28: "nihil innovetur nisi id quod traditum est".

[171] Vatican I, constitution Dei Filius.

[172] Jn Apo, ll.

[173] I Tim 1, 20 ; II Tim 1, 5 et 14, et 3, 14; II Thés 3, 14; etc..

[174] Abbé Coiffet, note 11.

[175] RP de Monléon, note 153.

[176] Hans Küng, L’Eglise (Desclée, 1968).

[177] RP Eugène, note 135.

Vers la partie suivante:

Le « parler en langues »