Les Charismatiques après la fête - Daniel Raffard de Brienne

Présentation Sommaire

 

Contact Pacte Certitudes
 
L’effusion de l’Esprit

Alors que chez les protestants on parle volontiers de « baptême dans l’Esprit », les catholiques préfèrent employer les mots « effusion de l’Esprit » pour éviter une fâcheuse assimilation au sacrement de Baptême. En fait, les deux expressions ne sont pas synonymes : le baptême dans l’Esprit, c’est l’acte, et l’effusion de l’Esprit, son effet.

On l’a vu, ce « baptême dans l’Esprit » par impositions des mains apparaît à la fin du XIXe siècle chez des protestants américains. On a voulu, évidemment, lui trouver une origine beaucoup plus ancienne, et même scripturaire. Selon les protestants et certains catholiques, il s’agirait d’un rite datant de l’époque apostolique et que l’Eglise a occulté pendant de nombreux siècles, comme bien d’autres choses. Le Nouveau Testament parle parfois, en effet, d’imposition des mains, mais elle est toujours le fait des apôtres, et non de « leaders » ni de communautés, et elle ne constitue jamais un « baptême dans l’Esprit »[135]. Le baptême dans l’Esprit comporte un rite, des ministres et des effets. Rien de plus simple que le rite : c’est une simple imposition des mains sur le sujet, avec un accompagnement variable de paroles et d’invocations. Les ministres, ce sont les « leaders » des communautés charismatiques, ou un groupe des membres de ces communautés. Tous ont déjà bénéficié de ce baptême, à quelques exceptions près comme celle du premier baptisé de 1898. A noter, nous l’avons déjà dit et nous y reviendrons, que ce baptême peut être conféré par ou à des croyants et des non-croyants, des protestants et des catholiques. D’ailleurs, le début de la chaîne du baptême dans l’Esprit est entièrement protestant. Il est vrai que le sacrement de Baptême peut être, lui aussi, administré par des non-catholiques, mais sous la condition que le ministre non-catholique ait l’intention de faire ce que veut l’Eglise et utilise la matière et la forme prescrites par l’Eglise[136].

Or l’Eglise n’a rien voulu ni rien prescrit au sujet d’un « baptême dans l’Esprit ».

L’élément le plus frappant du baptême dans l’Esprit consiste en son effet immédiat et sensible, voire spectaculaire. C’est l’effusion de l’Esprit. Le Saint-Esprit est censé agir directement sur le baptisé ou par le baptisé.

Une manifestation classique de cette effusion est l’apparition des charismes: ainsi le « parler en langues » a-t-il tout de suite suivi le baptême de 1898. Sans que cela paraisse toujours de manière aussi spectaculaire, le bénéficiaire de l’effusion se met à parler ou à prophétiser au nom de l’Esprit qui l’inspire directement. Ce phénomène n’a rien de nouveau puisque saint François de Sales écrivait déjà : « Il y a des âmes qui se veulent, à ce qu’elles disent, être conduites par l’Esprit de Dieu, et il leur semble que tout ce qu’elles imaginent sort des inspirations et des mouvements du Saint-Esprit... en quoi elles se trompent fort »[137]. Même sans aller jusque-là, les baptisés dans l’Esprit se sentent immédiatement transformés : leur piété grandit, leur vie chrétienne devient plus facile et plus spontanée[138]. Nous nous rappelons avoir rencontré un « aumônier laïc » d’hôpital qui nous a déclaré en substance qu’on lui avait imposé les mains, presque malgré lui, quelques années auparavant, et que, depuis, il vivait constamment « dans la joie et le bonheur ». Nous lui avons rappelé que la voie de la sainteté est celle de la croix, et non celle de cette sérénité béate que l’on rencontre souvent dans bien des sectes. Les fondateurs d’ordre « n’ont-ils pas recommandé les voies sûres et communes du recueillement, du silence, de la discrétion dans la piété, dans la pratique du renoncement, l’acceptation de la Croix »[139] ?

Beaucoup de tout cela relève sans doute de la sensibilité ou d’un simple effet psychologique provoqué par une ambiance particulière. Mais on ne semble pas pouvoir tout expliquer ainsi. Cette automaticité des phénomènes attribués à l’« effusion de l’Esprit », à la suite du « baptême dans l’Esprit », pose un sérieux problème. Loin d’y voir la suite d’un acte sacré effectué dans le cadre de l’Eglise, on y reconnaît plutôt les caractères d’un rite initiatique, tels que les a définis le célèbre gnostique René Guenon, que beaucoup crurent catholique jusqu’à ce qu’il ait dévoilé son adhésion au soufisme musulman. Pour qu’il y ait initiation, il suffit qu’un initié joue le rôle d’initiateur, c’est-à-dire transmette le pouvoir qu’il a reçu. C’est pourquoi un simple laïc, quelle que soit sa religion, peut initier même un cardinal comme Suenens. Guenon précise: « L’initiation consiste en la transmission, au moyen d’un rite, d’une influence spirituelle... Le rite est toujours efficace »[140].

Le « baptême dans l’Esprit » est-il donc un rite initiatique ?

[135] RP Eugène de Villeurbanne, Illuminisme 67 : un faux renouveau, le Pentecôtisme dit "Catholique" (Verjon, 1975) ; E. Joubert, Les mouvements charismatiques au regard de la foi et de l’Eglise (Despaigne, 1975). Sur le RP Eugène: Yves Chiron, Père Eugène de Villeurbanne (Clovis, 1997).

[136] Références, par exemple, dans : Sommaire de théologie dogmatique (Bien Public, 1969).

[137] St François de Sales, Les vrais entretiens spirituels, 12ème entretien.

[138] Abbé Coiffet, note 11.

[139] RP Eugène, note 135, p. 31.

[140] Sur Guenon, voir en particulier les études de Jean Vaquié dans Lecture et Tradition, n° 76, 79, 82, 91, 95, 100, 102 et 103 (1978 à 1983). Et aussi, plus largement : José Michaël et Pierre-Marie Simon, Satan dans l’Eglise (RSM, 1980) ; José Michaël, L’Eglise occupée (s.l, s.d.) ; etc.

Vers la partie suivante:

Le baptême dans l’Esprit et les sacrements