Alors
que chez les protestants on parle volontiers de « baptême dans l’Esprit
», les catholiques préfèrent employer les mots « effusion de l’Esprit
» pour éviter une fâcheuse assimilation au sacrement de Baptême. En
fait, les deux expressions ne sont pas synonymes : le baptême dans
l’Esprit, c’est l’acte, et l’effusion de l’Esprit, son effet.
On l’a
vu, ce « baptême dans l’Esprit » par impositions des mains
apparaît à la fin du XIXe siècle chez des protestants américains. On
a voulu, évidemment, lui trouver une origine beaucoup plus ancienne, et
même scripturaire. Selon les protestants et certains catholiques, il s’agirait
d’un rite datant de l’époque apostolique et que l’Eglise a
occulté pendant de nombreux siècles, comme bien d’autres choses. Le
Nouveau Testament parle parfois, en effet, d’imposition des mains,
mais elle est toujours le fait des apôtres, et non de
« leaders » ni de communautés, et elle ne constitue jamais un «
baptême dans l’Esprit »[135].
Le baptême dans l’Esprit comporte un rite, des ministres et des
effets. Rien de plus simple que le rite : c’est une simple
imposition des mains sur le sujet, avec un accompagnement variable de
paroles et d’invocations. Les ministres, ce sont les « leaders » des
communautés charismatiques, ou un groupe des membres de ces
communautés. Tous ont déjà bénéficié de ce baptême, à quelques
exceptions près comme celle du premier baptisé de 1898. A noter, nous
l’avons déjà dit et nous y reviendrons, que ce baptême peut être
conféré par ou à des croyants et des non-croyants, des protestants et
des catholiques. D’ailleurs, le début de la chaîne du baptême dans
l’Esprit est entièrement protestant. Il est vrai que le sacrement de
Baptême peut être, lui aussi, administré par des non-catholiques,
mais sous la condition que le ministre
non-catholique ait l’intention de faire ce que veut l’Eglise et
utilise la matière et la forme prescrites par l’Eglise[136].
Or l’Eglise
n’a rien voulu ni rien prescrit au sujet d’un « baptême dans l’Esprit ».
L’élément
le plus frappant du baptême dans l’Esprit consiste en son effet
immédiat et sensible, voire spectaculaire. C’est l’effusion de l’Esprit.
Le Saint-Esprit est censé agir directement sur le baptisé ou par le
baptisé.
Une
manifestation classique de cette effusion est l’apparition des
charismes: ainsi le « parler en langues » a-t-il tout de suite suivi
le baptême de 1898. Sans que cela paraisse toujours de manière aussi
spectaculaire, le bénéficiaire de l’effusion se met à parler ou à
prophétiser au nom de l’Esprit qui l’inspire directement. Ce
phénomène n’a rien de nouveau puisque saint François de Sales
écrivait déjà : « Il y a des âmes qui se veulent, à ce qu’elles
disent, être conduites par l’Esprit de
Dieu, et il leur semble que tout ce qu’elles imaginent sort des
inspirations et des mouvements du Saint-Esprit... en quoi elles se
trompent fort »[137].
Même sans aller jusque-là, les baptisés dans l’Esprit se sentent
immédiatement transformés : leur piété grandit, leur vie
chrétienne devient plus facile et plus spontanée[138].
Nous nous rappelons avoir rencontré un « aumônier laïc » d’hôpital
qui nous a déclaré en substance qu’on lui avait imposé les mains,
presque malgré lui, quelques années auparavant, et que, depuis, il
vivait constamment « dans la joie et le bonheur ». Nous lui avons
rappelé que la voie de la sainteté est celle de la croix, et non celle
de cette sérénité béate que l’on rencontre souvent dans bien des
sectes. Les fondateurs d’ordre « n’ont-ils pas recommandé les
voies sûres et communes du recueillement, du silence, de la discrétion
dans la piété, dans la pratique du renoncement, l’acceptation de la
Croix »[139] ?
Beaucoup
de tout cela relève sans doute de la sensibilité ou d’un simple
effet psychologique provoqué par une ambiance particulière. Mais on ne
semble pas pouvoir tout expliquer ainsi. Cette automaticité des
phénomènes attribués à l’« effusion de l’Esprit », à la suite
du « baptême dans l’Esprit », pose un sérieux problème. Loin d’y
voir la suite d’un acte sacré effectué dans le cadre de l’Eglise,
on y reconnaît plutôt les caractères d’un rite initiatique, tels
que les a définis le célèbre gnostique René Guenon, que beaucoup
crurent catholique jusqu’à ce qu’il ait dévoilé son adhésion au
soufisme musulman. Pour qu’il y ait initiation, il suffit qu’un
initié joue le rôle d’initiateur, c’est-à-dire transmette le
pouvoir qu’il a reçu. C’est pourquoi un simple laïc, quelle que
soit sa religion, peut initier même un cardinal comme Suenens. Guenon
précise: « L’initiation consiste en la transmission, au moyen d’un
rite, d’une influence spirituelle... Le rite est toujours efficace »[140].
Le «
baptême dans l’Esprit » est-il donc un rite initiatique ? |