On le voit, dans l’esprit
de nos contemporains, la notion de vérité est devenue très vague.
On admet couramment que chacun possède sa propre vérité et, si l’on
se permet parfois de reconnaître qu’il existe des vérités
meilleures que d’autres, on ne peut pour autant légitimement
exclure une vérité plutôt qu’une autre. Ou bien si, à la limite,
en matière religieuse, on admet une certaine unicité de là
vérité, cette vérité n’est que l’addition de fragments
détenus par chaque religion. En fin de compte, la vérité se confond
avec l’opinion et est légitimée par la sincérité (ou par la
piété en matière religieuse). Elle est relative et modifiable à
volonté. L’erreur aussi, par voie de
conséquence. Tout cela résulte d’une véritable perversion de l’intelligence,
dont on voit les résultats avec l’émergence d’idéologies dans
le domaine politique[57],
comme avec le relativisme, le sentimentalisme et le pseudo-œcuménisme
dans le domaine religieux. Cette perversion de l’intelligence,
développée au cours des derniers siècles surtout, depuis la
Réforme, provient de ce que l’on appelle le libéralisme, un mot
qui désigne une doctrine prônant la libération de la pensée par
rapport aux contraintes extérieures. L’intelligence ne cherche plus
la vérité dans l’objet, c’est-à-dire dans ce qui est, mais
entend la trouver en elle-même, c’est-à-dire à l’intérieur du
sujet déconnecté du réel. D peut surgir ainsi au même moment et au
même endroit autant de « vérités » qu’il y a de sujets. Mais,
« qu’est-ce que la vérité ? », demandait Pilate, grand
ancêtre des libéraux[58].
La vérité, c’est l’adéquation de la pensée à la réalité.
Or, comme la réalité est unique, il ne peut y avoir qu’une seule
vérité et elle est absolue. Certes, la vérité peut être
différente selon les lieux et les temps, dans la mesure où la
réalité est elle-même différente. Par exemple, on peut dire « il
fait chaud » à l’équateur et « il fait froid » au pôle (les
notions de chaud et de froid correspondent à des critères fondés
sur la réalité). Mais, si l’on émet plusieurs « vérités » au
sujet d’une même réalité, c’est que toutes ces « vérités »,
en dehors, au mieux, d’une seule, sont des erreurs qu’il faut
débusquer et éliminer. Comment pouvons-nous connaître la
vérité ? D’abord, en scrutant la réalité telle que nos sens
physiques nous la font connaître. Les sens constituent nos seuls
liens avec l’objet, le réel, sur lequel ils nous apportent des
informations. Ces informations ne suffisent pas en elles-mêmes, elles
peuvent même être erronées, le résultat d’illusions.
C’est alors que l’intelligence
intervient. Aidée de la mémoire qui lui apporte des références,
elle procède en trois étapes. Première étape : la formation
des idées ; il s’agit d’un travail d’abstraction qui tend
à sonder la nature des choses et
à les définir. Deuxième étape: le jugement qui permet d’apprécier
et de classer les idées (il s’agit toujours ici d’idées
dégagées de la réalité et non d’idées créées par le sujet).
Enfin, le raisonnement enchaîne les idées entre elles par analogie,
par induction ou, le plus souvent, par déduction. Bien sûr, l’erreur
peut surgir à n’importe quel niveau du processus. D’où la
nécessité de procéder sans cesse à des contrôles. En ce qui
concerne les vérités révélées, objets de la foi, elles ne sont
directement accessibles ni aux sens ni à l’intelligence. On ne
pourra donc pas les rechercher par les mêmes moyens que les vérités
naturelles[59].
Doivent-elles pour autant être laissées aux aléas d’éventuelles
« expériences sensibles » ou à une adhésion purement sentimentale
et subjective ? Non pas. Ce qui peut être recherché, c’est la
vérité de la révélation par le moyen de l’apologétique[60].
L’apologétique,
qui s’adresse à l’intelligence, fournit les bases de la
crédibilité et de la crédentité de la révélation et de son
contenu. Elle amène à l’acte de foi qui requiert l’adhésion de
l’intelligence. Et cet acte de foi entraîne l’acceptation de l’ensemble
des vérités révélées (ou proclamées, chacune avec sa note
théologique), sans qu’il soit permis ni même simplement logique d’en
rejeter, d’en relativiser ou d’en passer sous silence (serait-ce
pour un motif « œcuménique »). On voit combien tout ceci se trouve
contredit par la position de Luther, initiateur de cette Réforme dont
la mentalité moderne est tributaire et dont les protestants qui y
trouvent leur origine fonderont le Pentecôtisme, lui-même géniteur
du Renouveau catholique. Pour Luther, l’intelligence était la «
putain du diable » : Pour trouver Dieu, il fallait, selon lui,
le sentir et réduire la foi à la confiance.
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